« Judgement Day (Bell’s Theorem) – 2008- Richard BELL-Polymer synthétique sur toile (1,60x1m)
Brisbane-Queensland Art Gallery
Ce sont les vacances pour nombre d’entre vous, filons en Australie, où il y a tant à dire sur l’art australien, riche de tant d’influences diverses !
L’ART AUSTRALIEN EXISTE-T’IL ? La quête d’identité de l’art australien.
« Australian Art doesn’t exist ! »
Voilà une réponse qui a le mérite d’être claire : « L’Art Australien n’existe pas ! ». Né en 1953, Richard BELL, artiste australien d’origine aborigène, est notamment connu pour ses « Bell’s theorems », slogans provocateurs souvent teintés d’humour qui explorent les inégalités dans la vie culturelle australienne. Bell lutte ainsi contre les idées préconçues sur l’Art Aborigène et le risque d’une marchandisation qui lui ferait perdre son âme. J’ai d’ailleurs appris que la culture et les traditions aborigènes sont parmi les plus anciennes de notre planète …Respect !
I « L’ART D’INSPIRATION ABORIGENE »
Rover THOMAS (1926-1998), aborigène également, est considéré comme le plus grand peintre australien. Après la mort de son père, tué par des « blancs », Rover, homme du désert, devient gardien de troupeau. Jusqu’au passage du cyclone Tracy en 1974, où un rêve l’incite à devenir peintre.
« Mount House » 1986-Rover THOMAS (1926-1998) – ocres sur polywood 56,5×37,5cm)-Perth, Art Gallery of Western Australia
Les vieux initiés de sa communauté (Warmun) sont sidérés de sa maitrise et lui demandent de peindre leurs souvenirs, et notamment les massacres qui ont duré jusque dans les années 40. Son travail, tout en sobriété et abstraction, fait de lui une star en Australie. En 1990, huit ans avant sa mort, il représente l’Australie à la Biennale de Venise. Les teintes profondes ocrées et leur dépouillement donnent à ses toiles une force et une puissance bouleversante.
Julie DOWLING, née en 1969 près de Perth, peint sa famille, ses proches mais également elle-même. Aborigène, elle a hérité d’un ancêtre blanc ses yeux et sa peau clairs, source de tourments et d’interrogations. Qui expliquent cet autoportrait dont le titre est « Autoportrait à la face noircie… !! » grâce à l’utilisation de cendre. Le symbole est très fort.
« Self portrait » (Autoportrait à la face noircie)1996- Julie DOWLING Peinture synthétique et cendre sur toile-
Perth, Art Gallery of Western Australia
Le père de Rover Thomas, un Aborigène qui vit de façon traditionnel, a été tué par des blancs. Il suit alors un vers le Kimberley. Car Rover est un homme du
Couleu
Mollie, sa grand-mère aborigène, dont elle est très proche, est une importante source d’inspiration : le tableau (photo ci-dessous) « Jesus loves Mollie ? » suscite un malaise, surtout lorsqu’on le sait peint avec du sang, mais il est aussi instructif sur les relations complexes, souvent tendues (aujourd’hui encore) des aborigènes avec les blancs. Elle est également présente dans plusieurs musées australiens.
« Jesus loves Mollie ? » 1996- Julie DOWLING-Peinture synthétique et sang sur toile.
Perth, Art Gallery of Western Australia
Dans un autre registre, « Snake Bone Necklace (Tour de cou en os de serpents) (photo ci-dessous) de Cassie LEATHAM rappelle l’importance des traditions et des croyances aborigènes, notamment sur la destinée. En réunissant les vertèbres de deux serpents, le sombre et le rouge, pour créer un seul collier, l’artiste ne rompt pas leur destin. En effet, alors qu’elle dépèce le serpent rouge, elle découvre dans son estomac le serpent sombre …..!! Ce bijou a été vendu plusieurs milliers de dollars australiens.
« Snake Bone Necklace » (Tour de cou en os de serpents)-2016-Cassie LEATHAM-
Koorie Heritage trust Inc. Melbourne
« The Aboriginal Memorial » (photo ci-dessous) rappelle que depuis 2 siècles, avec l’arrivée des premiers européens, les aborigènes ont été exterminés, maltraités. Cette installation, impressionnante et saisissante, réalisée par des dizaines d’artistes aborigènes, trône dans l’immense entrée de la National Gallery of Australia, à Canberra. En harmonie avec la taille du pays !!
« The Aboriginal Memorial »-1988- National Gallery of Australia-Canberra
Ces 200 cercueils cérémoniels signifient « un cercueil, pour une année d’implantation ». Ce mémorial, à la beauté sévère, représente une forêt d’âmes qui s’élève vers le ciel. Dédié à la mémoire de tous les aborigènes morts pour défendre leur territoire, il a été érigé pour transmettre aux futures générations australiennes un message d’apaisement. Le choix de la National Gallery (inaugurée par la reine Elisabeth II en 1982) à Canberra, la capitale fédérale, est donc logique. En 2008, le Premier Ministre déclare devant le Parlement : « Pour la douleur et les souffrances subies par ces générations volées, leurs descendants et leurs familles, nous demandons pardon. Et pour l’atteinte à la dignité et l’humiliation infligée à un peuple fier de lui-même et de sa culture ».
Les aborigènes ont d’ailleurs un drapeau (au début je me suis demandée ce que signifie ce drapeau qui flotte partout) conçu par l’artiste aborigène, Harold THOMAS, et un « National Sorry Day » (le 26 mai, depuis 1998).
II LA PEINTURE DEPUIS LA CREATION DE LA FEDERATION, LE STREET ART ET LES FLUX MIGRATOIRES.
Outre l’art aborigène, l’art australien, dans sa quête d’identité, est constitué des réalisations des peintres depuis la création de la Fédération en 1901, du Street Art, et, bien entendu, des différentes vagues migratoires qui ont peuplé le pays.
–La peinture australienne depuis l’indépendance du pays en 1901 :
En 1904, Frederick McCUBBIN (1855-1917) peint « The Pioneer » (Le Pionnier – photo ci-dessous), triptyque qui raconte l’histoire des premiers européens arrivés en Australie à la fin du XVIIIème/début XIXème. Il l’a commencé en 1901, au moment où l’Australie déclarait son indépendance : très symbolique ! Mais l’Australie conserve ses liens avec la Couronne britannique : le Commonwealth d’Australie est proclamé (très habile !!).
« The Pionner » 1904-Frederick McCubbin-triptyque, 2,25m de haut x 3m de large Huile sur toile– Melbourne-National Gallery of Victoria –
Cette œuvre, à forte valeur symbolique pour les australiens, nous présente la vie des premiers européens en Australie : 1) la jeune femme est assise, seule, songeuse, tandis que l’homme travaille, avec en arrière-plan leur « chariot » ou leur maison, 2) La même jeune femme porte un enfant dans ses bras et vient retrouver l’homme harassé, assis sur son tronc ; on aperçoit la campagne au fond 3) L’homme est agenouillé devant une tombe et l’on devine la ville, où coule une rivière. Des années se sont écoulées ; des vies se sont éteintes. Ces trois toiles symbolisent également l’histoire universelle de l’humanité, notre épopée terrestre.
« The arbour » 1910 (« La tonnelle » photo ci-dessous) de E. Philips FOX, à l’atmosphère radicalement différente de la précédente, illustre ce que pouvait être la vie pour certains en Australie au début du 20ème siècle. L’influence des impressionnistes est là.
« The arbour » (La tonelle) 1910-E. Phillips FOX (1865-1915)-
(Huile sur toile 2×2,30m) Melbourne-National |Gallery of Victoria –
Effectivement, E. Phillips Fox, né à Melbourne en 1865 où il est décédé en 1915, a séjourné en France à plusieurs reprises, où il a étudié à l’Académie Julian puis à l’Ecole des Beaux-Arts.
« Collins St, 5 p.m. » 1955 (photo ci-dessous-Rue Collins, 5 heures du soir) de John BRACK (1920-1999), peintre australien célèbre, représente les visages fermés des employés à 17h, heure de pointe à la sortie des bureaux dans Collins St., un axe clé de Melbourne, à proximité de la gare centrale. Avec le recul, il a regretté son attitude condescendante à l’égard de ces individus car « leur vie est aussi complexe que la mienne, si ce n’est plus ».
« Collins St, 5 p.m. » (Rue Collins, 5 heures du soir) 1955-John BRACK (1920-1999)-
Huile sur toile 1,15×1,63m- Melbourne-National Gallery of Victoria
L’atmosphère, austère, mécanique, est accentuée par les teintes ocres et sombres, mais aussi par le regard fixe, les mines allongées et dures des passants.
« The Bar » (photo ci-dessous) (1954) également de John BRACK est connu pour sa référence directe à la toile d’Edouard Manet « Un Bar aux Folies Bergères » (1882).
« The Bar » 1954 John BRACK (1920-1999)-Huile sur toile 0,97x130m-
Melbourne-National Gallery of Victoria
« Un Bar aux Folies Bergères » Edouard Manet 1882
L’opulence des années 1880 à Paris fait place à l’austérité des années 1950 à Melbourne. Derrière la serveuse, des salariés renfrognés et stéréotypés boivent un dernier verre avant 18h, heure où les pubs de Melbourne devaient, jusqu’en 1966, fermer.
-Le « Street Art »
Melbourne est une des capitales mondiales du Street Art. En vous baladant le nez au vent, vous découvrez un mur magnifique, un autre tourmenté, gai, interrogatif… Que de belles surprises !
Sous un pont, qui enjambe la Yarra River, à Melbourne.
En plein centre de Melbourne, plusieurs venelles recèlent des trésors pour les amateurs de « Street art ».
Tête magnifique dans une ruelle, en plein cœur de Melbourne !
Toutes ces façades peintes sont pleines d’imagination, d’idées, d’hommages …Un pur régal pour les yeux ! Et très enrichissant pour moi qui n’y connais rien.
Tout la ruelle est ainsi décorée : on bascule radicalement dans cette végétation luxuriante en pleine ville…Génial !
Taille imposante ….du Street Art !! Nombre d’entre eux s’étalent sur plusieurs étages.
–Flux migratoires
Tout au long du XXème siècle, les flux migratoires d’européens, d‘indiens, d’asiatiques ont permis à l’Australie de se peupler. Les chinois, les derniers en date, sont arrivés après les évènements de la Place Tiananmen en 1989.
« Trigger Happy IX » 1999-Guo JIAN (né en Chine en 1963) Huile sur toile 1,8x2m
Canberra, National Gallery of Australia
Le gouvernement australien de l’époque a autorisé 42 000 étudiants chinois à rester définitivement en Australie, créant ainsi le plus grand mouvement migratoire de chinois depuis la « ruée sur l’or » en 1850. L’art australien en est ressorti enrichi, mais aussi remis en cause, perturbé en raison des différences de civilisation, d’histoire.
« Trigger Happy IX » (Heureux déclencheur IX) de Guo JIAN, né en Chine en 1963, est arrivé en Australie en 1992, après les évènements de la Place Tiananmen qui ont radicalement changé sa vision sur son pays de naissance. Sa série de peintures « Trigger Happy » nous raconte avec une ironie mordante l’expérience opposée de ce qu’il a vécu dans l’armée chinoise, dans laquelle il s’était enrôlé volontairement à l’âge de 17 ans. C’est aussi sa façon de dénoncer les horreurs de la guerre « dues à des soldats qui ne sont que les exécutants des ordres de gouvernements » dit-il. Comme lui l’a été.
-Et aussi des photos…..
« Reincarnation – Mao, Buddha and I » de l’artiste Xiao Xian Liu, né en Chine en 1963, arrivé en Australie en 1990, m’a happée au passage : sa fine ironie provocatrice m’a enchantée !
« Reincarnation-Mao, Buddha and I » 1998 Liu Xiao XIAN
Triptyque 3x (3×2 m)- Canberra, National Gallery of Australia
L’art australien existe-t-il ou non ? L’art aborigène, l’art « plus » classique, le Street Art, les flux migratoires… le modèlent indéniablement, et au fil du temps « l’Art Australien » trouvera son identité. Comme il faudra du temps pour que cet immense pays, âgé de seulement 100 ans, trouve ses marques.
-1788 : arrivée des premiers colons sur le sol de la future Australie
-1901 : naissance de la Fédération Australienne (appartient au Commonwealth)
–2008 : Pardon officiel du gouvernement au peuple aborigène.
-7,6 millions km2, superficie de l’Australie, avec 25 millions d’habitants, dont 660 000 aborigènes.
A titre de comparaison : l’Union Européenne c’est 4,5 millions km2 et 511 millions d’habitants. Les USA : 9,8 millions km2 et 325 millions d’habitants.
-« L’Australie est « a massive country » !! Commentaire des australiens sur leur pays.
-L’architecture des musées australiens est superbe. Pas de billet d’entrée, elle est gratuite.
-Leurs collections sont impressionnantes, avec de très belles œuvres d’un grand nombre d’artistes français depuis le 19ème siècle.
-Il y a toujours une section aborigène, généralement remplie de merveilles.
-La France a une belle image !!
« Exposition Cartier à Canberra »
La « pub » de l’exposition Cartier, qui se tient à Canberra jusqu’au 22 juillet 2018, clame : «L’Australie n’a jamais vu de si beaux bijoux ! »
-« Les Couleurs de l’impressionnisme » : le musée d’Orsay prête, jusqu’au 29 juillet 2018, 65 de ses œuvres à « l’Art Gallery of South Australia, à Adelaïde. Exposition très attendue !
-« Creux » ! Voilà qu’elles ont été mes premières impressions en arrivant en Australie : pas très aimable, j’avoue ! « Creux » parce que ce pays n’a pas –encore- de racine, d’histoire…
–« Elan !» J’ai ensuite ressenti cette puissance incroyable, cette dynamique qui soulève le pays. Tout est à faire. Tout est possible. Grisant ! Impression formidable lorsque l’on vient d’Europe.
–« Complexité immense » devant la tâche à accomplir, comparable à la taille du pays.