La Fondation Louis Vuitton présente jusqu’au 17 juin 2019 l’exposition
« La Collection Courtauld – Le parti de l’impressionnisme ».
Allez-y, c’est une magnifique exposition. Chaque œuvre est un éblouissement.
« Les Joueurs de cartes » (vers 1892-1896) Paul CEZANNE (1839-1906) (Photo N°1)
Huile sur toile (60×73 cm) – Coll. The Courtauld Gallery, Londres
CRÉATION DE LA COLLECTION COURTAULD PAR SAMUEL COURTAULD ET SON ÉPOUSE ELISABETH.
I Jusqu’en 1922
Comment ne pas tomber sous le charme d’une telle exposition ? Comment ne pas être interpellée par la démarche philanthropique de Samuel Courtauld, mais aussi de son épouse, Elisabeth ? Qui étaient Samuel et Elisabeth Courtauld ? Comment ont-ils réussi à réunir en moins de dix ans ces différentes peintures françaises majeures (Cézanne, Dégas, Gauguin, Manet, Monet, Renoir, Van Gogh, Toulouse Lautrec) de la fin du XIXe et du début du XXe siècle ?
Séduite par leur philanthropie, curieuse d’apporter des réponses à ces questions, j’ai eu envie de faire plus ample connaissance avec eux.
Elisabeth et Samuel Courtauld (Photo N°2)
La famille Courtauld, protestante et originaire de l’Ile d’Oléron, arrive en Angleterre à la suite de la révocation de l’édit de Nantes en 1685. A la fin du XIXème siècle, un aïeul Courtauld fonde la manufacture du même nom, qui devient important fabricant de soie. Samuel Courtauld (1876-1947), un des descendants, est le troisième d’une fratrie de six enfants. Fait exceptionnel pour l’époque, ses sœurs reçoivent la même éducation que ses frères et lui. Sous son impulsion, l’entreprise Courtauld se diversifie et se lance dans la rayonne, la soie artificielle, au début du XXème siècle. L’aventure connaitra un très beau succès.
« Don Quichotte et Sancho Panza » Vers 1870 – Honoré DAUMIER (Photo N°3)
Huile sur toile – The Courtauld Gallery, Londres (Samuel Courtauld Trust) – Don de Courtauld 1932
Le jeune Samuel ne va pas à l’université. Il rentre directement dans l’entreprise familiale, dont il gravit tous les échelons avant de devenir, en 1917, directeur général adjoint, puis président en 1921. Au même moment, au début des années 1920, l’entreprise Courtauld obtient le monopole du marché nord-américain. La rayonne est à la mode ! Samuel Courtauld est un grand patron, qui tout au long de sa vie professionnelle, est inspiré par sa foi profonde. Il est convaincu que l’on doit partager tout ce que l’on a reçu. Cette conviction, profondément ancrée en lui, explique ses décisions majeures dans le domaine de l’art. Impressionnant !
« Un bar aux Folies Bergères » 1881-1882 Edouard MANET (Photo N°4)
Huile sur toile (96×130 cm) – Coll. The Courtauld Gallery, Londres
Elisabeth Kelsey (1875-1931) deviendra son épouse en 1901. Ils auront un unique enfant, Sydney Elisabeth (1902-1951). L’épouse de Samuel jouera un rôle clé dans la création de leur incroyable collection privée, tant par ses conseils avisés que par sa vision de l’art. Extrêmement impliquée dans le mécénat musical, elle organise très régulièrement des concerts classiques dans leur demeure privée de Londres, permettant aux meilleurs compositeurs et interprètes de se produire devant un public vaste et diversifié. Son but, comme pour la peinture, est de donner accès à tous à la culture. Il faut partager ! Les deux époux sont en phase.
« Autoportrait à l’oreille bandée » 1889 Vincent Van Gogh (1853-1890) (Photo N°5)
Huile sur toile (60,5 x 50cm) – Coll. The Courtauld Gallery, Londres
L’aventure artistique des époux Courtauld commence en 1901, lors de leur voyage de noces à Florence, alors qu’ils découvrent les peintres de la Renaissance italienne. Des questions fondamentales les assaillent. Quelle est la signification première de la peinture ? Quelle est sa raison d’être ? Quels pourraient être les artistes récents, capables, eux aussi, de bouleverser la vision du monde ?
Début de réponse en 1917, lors d’une exposition de la collection de l’irlandais Hugh Lane à la National Gallery, à Londres, où ils découvrent Degas, Manet, Monet, Berthe Morisot, Renoir. Samuel Courtauld est immédiatement séduit par les impressionnistes, mouvement alors ignoré en Angleterre, car ils stimulent son imagination et son esprit : « la signification spirituelle d’une œuvre et sa capacité à transcender le réel sont au cœur de sa démarche de collectionneur » (Extrait du Numéro spécial « Beaux-Arts » sur cette exposition – p 10).
II De 1922 à 1932
En 1922, les époux Courtauld se lancent dans la création de leur collection de peintures impressionnistes. « Femme à la toilette », toile réalisée en 1918 par Renoir, est la première acquisition de Samuel Courtauld, en 1922, sur les conseils de sa femme. Toujours en 1922, Samuel Courtauld a un coup de foudre pour les oeuvres de Cézanne : « Sur le moment, j’ai ressenti de la magie, et je suis tombé dans Cézanne pour toujours » (Extrait du Numéro spécial « Beaux-Arts » sur cette exposition- p 51)
« L’homme à la pipe » vers 1892-1896 Paul CEZANNE (1839-1906) (Photo N°6)
Huile sur toile (73×60 cm) – Coll. The Courtauld Gallery, Londres
En 1927, Samuel Courtauld achète « L’homme à la pipe » (photo N°6 ci-dessus) qui complète « Les Joueurs de cartes »(Photo N°1) qu’il achète en 1929. Cette dernière est l’œuvre qui m’a le plus touchée parmi toutes les autres splendeurs de cette exposition. J’aime sa sobriété , sa composition dépouillée de tout détail et réduite à ces deux hommes assis autour d’une table de jeux. Ces deux personnages sont des ouvriers qui travaillent dans la propriété de Cézanne, le Jas de Bouffan, située aux environs d’Aix. Le peintre les compare à la montagne Sainte Victoire par leur aspect intemporel et monumental. La puissance tranquille qui émane de cette peinture est époustouflante ! Samuel Courtauld, conscient de sa valeur artistique était prêt à tout pour l’acquérir. Il y parvient en 1929 pour 12 500 livres. A titre de comparaison, il achètera « Un Bar aux Folies Bergères » (Photo N°4) de Manet 22 600 livres, « Autoportrait à l’oreille bandée » de Van Gogh (Photo N°5) 10 000 livres, « Te Rerioa (Le Rêve) » de Gauguin (Photo N°7) 13 600 livres, « Le Lac d’Annecy » de Cézanne (Photo N°8) 8 000 livres.
« Te Rerioa (Le Rêve) » 1897 Paul Gauguin (1848-1903) (Photo N°7)
Huile sur toile (95x130cm) – Coll. The Courtauld Gallery, Londres
Pour mener à bien leur aventure artistique, le couple Courtauld s’entoure de conseillers, critiques et autres spécialistes réputés, sans pour autant mettre de côté leur vision et leur instinct lors d’une acquisition . Ils constituent deux collections en parallèle. L’une privée, que le couple développe main dans la main, destinée à meubler leur demeure personnelle Home House, située à Londres, au 20 Portman Square.
La seconde, Samuel Courtauld la réalise avec l’aide de ses collaborateurs pour le fonds spécial qu’il a créé et qui est destiné aux collections de la National Gallery et de la Tate, où il siège dans les conseils d’administration. Ces deux collections concernent les mêmes artistes, mais les transactions sont séparées. En 1923, Samuel Courtauld fait un don d’un montant considérable, 50 000 livres, à la National Gallery et à la Tate. Il précise que cette somme doit être entièrement consacrée au développement de la collection de peintures françaises. Ne laissant rien au hasard, il constitue un fond spécial totalement indépendant des institutions, car il se méfie de leur frilosité, avec une liste de noms de 35 artistes, Manet, Renoir, Degas, Cézanne, Monet, Gauguin et Van Gogh étant prioritaires.
Enfin, Samuel Courtauld décide de promouvoir l’étude de l’histoire de l’art dans le système éducatif anglais.
« Le Lac d’Annecy » 1896 Paul CEZANNE (1839-1906) (Photo N°8)
Huile sur toile (65×81 cm)-Coll. The Courtauld Gallery, Londres
Mais en 1929, son épouse, Elisabeth tombe malade. Samuel Courtauld arrête alors brutalement sa collection privée. Elisabeth décédera deux ans plus tard, en 1931.
III A partir de 1932
Un an plus tard, en 1932, Samuel Courtauld, lord Lee of Fareham et sir Robert Clermont Witt fondent le « Courtauld Institute of Art » à la mémoire d’Elisabeth Courtauld. Cet institut, qui dépend de l’université de Londres, est dédié à l’enseignement de l’histoire de l’art en offrant au public et aux étudiants une collection de référence pour éduquer, former, réformer. C’est la première fois au Royaume Uni que cette matière est considérée comme une discipline universitaire à part entière. Pour accueillir l’Institut, Samuel Courtauld fait don de « Home House », sa demeure londonienne achetée avec Elisabeth, ainsi que tous les trésors (impressionnistes et autres) qu’elle contient.
« Jane Avril à l’entrée du Moulin Rouge enfilant ses gants » Vers 1892 Henri de Toulouse-Lautrec (Photo N°9)
Huile et pastel sur carton contrecollé sur panneau (102x55cm) – Coll. The Courtauld Gallery, Londres
Jusqu’à la fin de sa vie, Samuel Courtauld donne de nombreuses conférences afin de propager sa conception d’une société humaniste et juste. Préconisant une réforme de l’industrie, y compris des droits des travailleurs, et une approche méritocratique de l’enseignement, il se montre très critique envers le matérialisme croissant et la perte des valeurs « spirituelles ». Il a été, tout au long de sa vie, fidèle à sa conviction que l’art, sous toutes ses formes, était la manifestation d’une spiritualité participant au rééquilibrage d’une société avilie par l’avènement de la consommation. Il décédera en 1947.
En 1958, la collection privée Courtauld, enrichie par de nombreux dons et legs supplémentaires, est transférée dans une galerie créée exprès au sein du Warburg Institute, sur Woburn Square. En 1989, le Courtauld Insitute rejoint Somerset House, actuellement en travaux, ce qui explique l’organisation actuelle de différentes expositions, dont celle de la FLV.
Belle visite et ne ratez pas le petit film de 12 mn !
Exposition
« La Collection Courtauld-Le Parti de l’Impresionnisme »
Jusqu’au 17 juin 2019
Fondation Louis Vuitton